(Je me permets d'installer ici cet ancien message car il m'y paraît plus à sa place que dans les archives de la saison 2016-2017. Il date d'août 2016.)
Le débat tactique qui doit déchirer chacun de nous (en forçant à peine le trait : bétonner pour être efficace comme en 2015-2016 ou viser le beau jeu en prenant plus de risques comme en 2016-2017) est exactement celui qui divise le football français depuis plus de 80 ans. C'est ce que décrit Thibaut Leplat dans un livre récent qui à mon avis fera date dans la bibliographie du football français. J'ai été impressionné par la profondeur de ses analyses.
Leplat, que je ne connaissais pas avant de trouver son livre par hasard à la librairie Richer, montre que, contrairement à une idée reçue, il y a une vraie culture de football en France ; qu'en particulier les débats tactiques ont fortement structuré le football français. Il remet les choses en perspectives, raconte le Racing de Baron, le Reims de Batteux, le Valenciennes de Domergue, le Nantes d'Arribas puis celui de Suaudeau et enfin de Denoueix, le Monaco de Wenger, le Paris de Fernandez, le Lorient de Gourcuff, tous porteurs du "beau jeu" pratiquant la défense en ligne qui facilite le jeu haut et donc l'offensive et le spectacle, face à la Fédération et plus particulièrement à la direction technique nationale qui, sous l'emprise de l'indéboulonnable et réactionnaire Georges Boulogne, a systématiquement promu le "béton", le jeu physique et défensif uniquement préoccupé du résultat à court terme. Leplat explique que le Saint-Etienne d'Herbin est un cas à part : il ne possède pas les caractéristiques du "beau jeu" et vise essentiellement le résultat (Herbin a introduit la recherche permanente de l'efficacité) sans pour autant jouer le "béton".
Il est très peu question du SCO, ce qui m'a surpris, je l'avoue. On notera toutefois qu'au milieu des années 60, notre club préféré faisait partie des très rares (avec Nantes, Rennes, Monaco et Valenciennes) à pratiquer le "beau jeu" plutôt que le "béton" alors très en vogue (en particulier à Lyon, Lille, Bordeaux, Strasbourg, Sedan, Nîmes...) : j'ignore si Pasquini était partisan de longue date de cette tactique ou s'il avait été influencé par les succès voisins d'Arribas à Nantes (champion en 65 et 66, finaliste de la Coupe en 66) et de Prouff à Rennes (vainqueur de la Coupe en 65).
On comprend aussi, même si ça ne figure pas dans le livre, que plus tard, de 1969 à 1973, ce sont les choix tactiques bornés de Boulogne, alors promu sélectionneur de l'équipe de France, qui en ont fermé l'accès aux Scoïstes (Guillou en particulier) : pas question de sélectionner des joueurs aux conceptions footballistiques tournées vers le plaisir ! Leplat montre comment, une vingtaine d'années plus tard, Jacquet, digne héritier de Boulogne et du "béton", a trouvé un compromis original : il a laissé carte blanche à Zidane, lui permettant d'exprimer une grande partie de son talent créatif et offensif, mais en contrepartie a dévolu tout le reste de l'équipe aux tâches défensives (le gardien, quatre défenseurs, trois milieux défensifs).
Quant au présent, la question demeure, pour l'équipe de France comme pour le SCO : faut-il viser le résultat à tout prix (le prix étant ce qu'on appelle de nos jours la "purge") ou prendre le parti du jeu haut, de la possession, du mouvement, des "appels qui déclenchent la passe", quitte à être... des Troyens version 2015-2016 ?
A lire, je vous assure !
Football à la française, Thibaud LEPLAT, éditions Solar, 2016, 437 pages, 18,90 euros, ISBN 978-2-263-07340-3
http://solar.fr/ouvrage/football-a-la-f ... 2263073403